Camerounais, vivant depuis plus de 50 ans en France, marié à une
Française, Emmanuel a cinq enfants adultes et indépendants. Il est président du
Conseil des Communautés Presbytériennes Camerounaises en France (CCPCF) et
membre de l’Equipe Régionale Mission (ERM) en région parisienne.
ERM : Actuellement tu es membre de la paroisse EPUdF du Foyer de
l’Âme à Paris. Tu es le Vice-président de son Conseil presbytéral. Tu as
récemment évoqué les difficultés de ton pays d’origine, le Cameroun. Peux-tu
nous dire ce qui te touche le plus ?
EM : Je suis attaché à la France tout comme à mon pays d’origine,
le Cameroun. J’y connais des personnes, là-bas comme ici. Je ne peux pas
oublier le fait que là-bas, des personnes n’ont même pas de quoi survivre et
qu’elles sont confrontées tout le temps à de graves difficultés économiques.
ERM : Ici aussi il y a des pauvres. Est-ce qu’au Cameroun les
difficultés t’apparaissent plus graves qu’en France ?
EM : Ce sont deux aires géographiques différentes où les notions
temporelles et spatiales se vivent autrement. Quand je suis là-bas – et j’y vais presque tous les ans - je
réfléchis comme là-bas et, quand je suis ici, je réfléchis comme ici. Cette
double culture n’est pas facile à vivre. C’est inconfortable. Souvent je me
pose la question : où est-ce que je me trouve ?
ERM : Peux-tu nous donner des exemples concrets où il y a conflit
des deux cultures ?
EM : J’ai des enfants. Je ne leur ai jamais parlé des fantômes. Or
dans mon enfance, j’ai été bercé par les histoires de fantômes, de revenants et
d’ancêtres. Aux enfants, je ne leur ai jamais parlé des fantômes, ni de
cadavres. Même le robot Goldorak était écarté. Un cadavre ne se touche pas. Mes
enfants qui sont nés et ont grandi en France n’ont pas les mêmes conceptions
que moi à ce sujet. Le fils plus jeune, quand sa grand-mère est décédée a pu
l’embrasser. Moi je ne pouvais pas le faire et j’ai admiré mon fils qui l’a
fait. A travers mes enfants, j’ai appris à ne pas avoir peur des fantômes même
si je crois au panthéon des ancêtres. Aujourd’hui, je me demande ce que ces
croyances changent pour moi. Rien. Je sens cette dualité dans ces deux
conceptions. (NDLR : Emmanuel ne prononcera jamais le mot de mort :
une personne décédée n’est pas morte)
ERM : Ce qui te touche particulièrement là-bas, ce sont les
enfants abandonnés dans les rues de Yaoundé.
EM : Le développement économique ne suit pas les progrès sociaux. Par
exemple, grâce aux progrès de la prophylaxie, à l’amélioration des conditions
de santé, le taux de mortalité des enfants a fortement baissé mais les moyens
de subsistance des familles sont insuffisants pour les familles nombreuses. Un
fort exode rural a fait surgir dans les banlieues des ghettos de misère où les
jeunes filles accouchent trop tôt et où se développe la délinquance. Le chômage
n’est pas une notion reconnue, on est agriculteur ou on ne l’est pas. Je
connais un père qui n’a pas de champ, pas de travail, et qui a neuf enfants.
Que deviennent ces enfants ? Dès cinq ou six ans, certains d’entre eux se
retrouvent dans la rue et ne vont pas à l’école qui est payante.
ERM : Les Eglises sont-elles présentes sur le terrain ?
EM : L’Eglise Presbytérienne du Cameroun a des écoles, mais la
scolarité y est aussi payante. Je sais que partout il y a des problèmes, mais
là, c’est dur de voir ces enfants abandonnés ainsi.
ERM : Comment aider ces enfants ?
EM : Le parrainage ! Mais en plus de leur apporter la nourriture,
il faut les retenir pour les former. Il faut un centre pour les accueillir et
les prendre en charge et les conduire vers l’autonomie. Une action modeste est
en cours : dans un petit logement, une quinzaine d’enfants reçoivent
chaque jour un repas. Des personnes dévouées leur donnent quelques rudiments de
lecture, d’écriture et de calcul. Ils apprennent des chants et chantent une
fois par mois au culte, font un peu de théâtre. Dans ces moments-là ils sont
heureux. L’offrande leur sert à acheter des sacs de riz. Il y a cinq ans, j’ai
créé une association pour une action culturelle : nous avons apporté seize
ordinateurs. Mais l’action s’est essoufflée. Il faut que les chrétiens se
mobilisent sur place, mais ils ont besoin de soutien, ils vivent au jour le
jour. Il faut faire grandir cette action auprès des enfants abandonnés. Prenez
contact, nous avons besoin de vous : emmanuel.manyo41@gmail.com.
Ecole du Dimanche à la paroisse de LKE LI NKEKE |