lundi 29 février 2016

Portraits : deux missionnaires à la double culture - 1. Emmanuel MANYO

Camerounais, vivant depuis plus de 50 ans en France, marié à une Française, Emmanuel a cinq enfants adultes et indépendants. Il est président du Conseil des Communautés Presbytériennes Camerounaises en France (CCPCF) et membre de l’Equipe Régionale Mission (ERM) en région parisienne.
ERM : Actuellement tu es membre de la paroisse EPUdF du Foyer de l’Âme à Paris. Tu es le Vice-président de son Conseil presbytéral. Tu as récemment évoqué les difficultés de ton pays d’origine, le Cameroun. Peux-tu nous dire ce qui te touche le plus ?
EM : Je suis attaché à la France tout comme à mon pays d’origine, le Cameroun. J’y connais des personnes, là-bas comme ici. Je ne peux pas oublier le fait que là-bas, des personnes n’ont même pas de quoi survivre et qu’elles sont confrontées tout le temps à de graves difficultés économiques.
ERM : Ici aussi il y a des pauvres. Est-ce qu’au Cameroun les difficultés t’apparaissent plus graves qu’en France ?
EM : Ce sont deux aires géographiques différentes où les notions temporelles et spatiales se vivent autrement. Quand je suis là-bas –  et j’y vais presque tous les ans - je réfléchis comme là-bas et, quand je suis ici, je réfléchis comme ici. Cette double culture n’est pas facile à vivre. C’est inconfortable. Souvent je me pose la question : où est-ce que je me trouve ?
ERM : Peux-tu nous donner des exemples concrets où il y a conflit des deux cultures ?
EM : J’ai des enfants. Je ne leur ai jamais parlé des fantômes. Or dans mon enfance, j’ai été bercé par les histoires de fantômes, de revenants et d’ancêtres. Aux enfants, je ne leur ai jamais parlé des fantômes, ni de cadavres. Même le robot Goldorak était écarté. Un cadavre ne se touche pas. Mes enfants qui sont nés et ont grandi en France n’ont pas les mêmes conceptions que moi à ce sujet. Le fils plus jeune, quand sa grand-mère est décédée a pu l’embrasser. Moi je ne pouvais pas le faire et j’ai admiré mon fils qui l’a fait. A travers mes enfants, j’ai appris à ne pas avoir peur des fantômes même si je crois au panthéon des ancêtres. Aujourd’hui, je me demande ce que ces croyances changent pour moi. Rien. Je sens cette dualité dans ces deux conceptions. (NDLR : Emmanuel ne prononcera jamais le mot de mort : une personne décédée n’est pas morte)
ERM : Ce qui te touche particulièrement là-bas, ce sont les enfants abandonnés dans les rues de Yaoundé.
EM : Le développement économique ne suit pas les progrès sociaux. Par exemple, grâce aux progrès de la prophylaxie, à l’amélioration des conditions de santé, le taux de mortalité des enfants a fortement baissé mais les moyens de subsistance des familles sont insuffisants pour les familles nombreuses. Un fort exode rural a fait surgir dans les banlieues des ghettos de misère où les jeunes filles accouchent trop tôt et où se développe la délinquance. Le chômage n’est pas une notion reconnue, on est agriculteur ou on ne l’est pas. Je connais un père qui n’a pas de champ, pas de travail, et qui a neuf enfants. Que deviennent ces enfants ? Dès cinq ou six ans, certains d’entre eux se retrouvent dans la rue et ne vont pas à l’école qui est payante.
ERM : Les Eglises sont-elles présentes sur le terrain ?
EM : L’Eglise Presbytérienne du Cameroun a des écoles, mais la scolarité y est aussi payante. Je sais que partout il y a des problèmes, mais là, c’est dur de voir ces enfants abandonnés ainsi.
ERM : Comment aider ces enfants ?
EM : Le parrainage ! Mais en plus de leur apporter la nourriture, il faut les retenir pour les former. Il faut un centre pour les accueillir et les prendre en charge et les conduire vers l’autonomie. Une action modeste est en cours : dans un petit logement, une quinzaine d’enfants reçoivent chaque jour un repas. Des personnes dévouées leur donnent quelques rudiments de lecture, d’écriture et de calcul. Ils apprennent des chants et chantent une fois par mois au culte, font un peu de théâtre. Dans ces moments-là ils sont heureux. L’offrande leur sert à acheter des sacs de riz. Il y a cinq ans, j’ai créé une association pour une action culturelle : nous avons apporté seize ordinateurs. Mais l’action s’est essoufflée. Il faut que les chrétiens se mobilisent sur place, mais ils ont besoin de soutien, ils vivent au jour le jour. Il faut faire grandir cette action auprès des enfants abandonnés. Prenez contact, nous avons besoin de vous : emmanuel.manyo41@gmail.com.
Ecole du Dimanche à la paroisse de LKE LI NKEKE
Propos recueillis par Christine Villard – ERM région parisienne - Paris Montparnasse Plaisance

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