mardi 14 juin 2016

Entretien avec Brice Deymié, aumônier général des prisons - 2ème partie


FT : Brice Deymié je vous ai toujours connu « en prison » ! Etait-ce un choix de votre part ? Qu’y avez-vous découvert ? Cela vous-a-t-il transformé ? 

BD : J’ai découvert l’aumônerie de prison non par choix mais par volonté de la paroisse de Versailles.  A mon arrivée comme proposant on m’a dit que je devais desservir la prison ; c’était en quelque sorte dans le cahier des charges de la paroisse (cela a bien changé depuis hélas !!!). Je n’avais pas envie d’y aller car le monde de la prison m’était totalement étranger et je n’avais pas été formé pour cela. Heureusement un laïc de la paroisse était déjà aumônier ; c’est avec lui que j’ai appris le métier et que la vocation m’est venue. Je ne le remercierai jamais assez. Il s’appelait Paul Gaudenzi, il est mort il y a quelques années. L’inattendu de la prison c’est que dans ce milieu de promiscuité et de violence, dans ce monde que l’on pense abandonné de Dieu, à l’instar du livre de Carlo levi, Le Christ s’est arrêté à Eboli, on l’y découvre quand même, là où l’humanité persiste à croire qu’une espérance est possible. Forcément la prison ça transforme. En prison on ne rencontre pas des gens ordinaires, on rencontre des parcours de vie totalement fracassés. Et ces vies,  qui ont conduit à des actes criminels ne peuvent pas nous laisser indifférents. On partage une commune humanité ! Et justement,  où va l’humanité ? Essayons par ne pas être submergés par l’inhumanité.

FT : Quelles sont vos responsabilités actuelles ?
BD : Je suis actuellement aumônier national des prisons pour la Fédération protestante de France, c’est-à-dire que je m’occupe des quelques 320 aumôniers protestants qui exercent leur ministère dans les 190 établissements pénitentiaires que comptent la Métropole et l’Outre-Mer.  Je suis le vis-à-vis de l’Administration pénitentiaire pour les questions qui ont trait à ‘aumônerie.  Tous nos aumôniers sont bénévoles et sont pour 60% d’entre eux des laïcs. Ils sont issus de toutes les Eglises membres de la FPF et pour 24% d’entre eux d’Eglises non-membres de la FPF. 20% des aumôniers sont issus de l’EPUF.

FT : Y a- t- il un travail œcuménique en prison ? Et interreligieux ? :
BD : Pour des raisons liées à l’histoire, les aumôniers chrétiens sont les plus nombreux dans les prisons françaises (1000 aumôniers chrétiens environ) alors qu’il n’y a que 200 aumôniers musulmans. Cette disproportion est due, d’une part à la difficulté de l’Islam de France à organiser ses courants,  et d’autre part au fait que le recrutement d’aumôniers est difficile parce que le travail diaconal en prison ne fait pas du tout partie des coutumes musulmanes, de l’ecclésiologie oserai-je dire. Les musulmans demandent au gouvernement que l’aumônier de prison puisse avoir un statut de salarié comme celui des aumôniers militaires ou des aumôniers des hôpitaux. Dans la mesure du possible, nous essayons de montrer aux détenus que les religions peuvent s’entendre entre elles. Pour moi c’est un témoignage fondamental, au milieu d’une époque troublée et de recherche identitaire frénétique.  Le chacun pour soi et Dieu reconnaîtra les siens est une attitude suicidaire. Beaucoup d’initiatives œcuméniques ont lieu dans les prisons françaises, et quelques timides avancées inter-religieuses. La tâche à accomplir est énorme.

FT : Vous êtes favorable à « la justice restaurative ». De quoi s’agit-il ?
BD La justice restaurative considère que le crime ou le délit,  ce n’est pas d’abord une loi que l’on enfreint, mais des liens que l’on brise. La justice restaurative va s’attacher à identifier ces liens, et à mesurer l’importance de la restauration à envisager. Pour donner un exemple : Si l’on vous vole votre voiture, votre objectif sera-t-il de voir le coupable aller en prison ou que l’on vous restitue votre véhicule ? La justice restaurative travaille pour que l’infracteur, de lui-même, restitue la chose volée et peut-être s’excuse. La justice restaurative s’applique aussi à des crimes plus graves, même si la rencontre entre victimes et infracteurs ne pourra pas se fonder sur la restitution de la chose enlevée mais sur les conséquences du crime sur la victime.  A ce sujet je vous invite à lire le livre d’Howard Zehr, La justice restaurative, pour sortir des impasses de la logique punitive, Genève, Labor et Fides, 2012.

FT : Et vous me parliez du cas de la Nouvelle Calédonie ?
En Nouvelle Calédonie, il est maintenant possible d’introduire une partie du droit coutumier dans le droit pénal. Autrefois ce n’était possible que dans le droit civil. Ce droit coutumier a évidemment beaucoup de choses à voir avec la justice restaurative.
 
 

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